Serre de la madone : visite d’un jardin méditerranéen remarquable.

Photo F Arnal 2019

« La côte d’azur dans les années vingt : un monde de faste et de fantaisie qui nous légua certains des plus grands jardins d’Europe. Le plus beau, peut-être, reste Serre de la madone, création du major Lawrence Johnston, auteur également de Hidcote, le jardin le plus visité d’Angleterre. Johnston, collectionneur de plantes exotiques, passa ses hivers à cultiver les terrasses protégées de son domaine, à l’ouest de menton. Il en a fait un jardin qui s’impose, encore aujourd’hui, comme modèle aux paysagistes d’avant-garde ». Serre de La Madone . Louisa Jones, Ninon Anger 2002

A quelques kilomètres du littoral sur la Riviera de Menton se cache  un jardin remarquable, le jardin de Serre de la Madone. Propriété du conservatoire du Littoral, il est l’héritage des jardins anglais caractéristiques par leur exotisme et leur exubérance.

J’ai visité celui ci en Février 2019 alors que le jardin était quasiment vide et que les agrumes étaient à maturité.

Photo F Arnal 2019
Le plan d’ensemble à l’entrée

En quoi ce jardin anglais créé par Lawrence Johnston est-il emblématique des jardins méditerranéens de la Côte d’azur ? Pourquoi est il original et comment a t il été sauvé des appétits des promoteurs immobiliers à la fin du siècle dernier ?

I. Un jardin menacé et sauvegardé. : l’histoire d’un lieu et d’un homme :

Photo F Arnal 2019
L’entrée du jardin

 Serre de la Madone et le Major Lawrence Johnston

Il y a une trentaine d’années l’avenir de ce jardin était bien compromis. Ce lieu exceptionnel situé à la sortie de Menton sur la route de Gorbio fut créé dans le début des années 1920 par Lawrence Johnston, le créateur du célèbre parc anglais Hidcote Manor.

1) Les collines de Menton sont sculptées par des terrasses de cultures dominées par les agrumes :

Le jardin en 1929 (Source IGN)

Dans les années 20 les collines de Menton sont sculptées par des terrasses de cultures : les restanques. Sur ces étroits paliers poussaient en alternance blé, vigne, olivier (la trilogie classique méditerranéenne) qui ici est plutôt orientée vers l’agrumiculture avec le célèbre citron de Menton qui bénéficie d’une appellation. L’agrumiculture Mentonnaise a commencé lentement son développement à la moitié du 15ème siècle.

Menton, la ville où le citronnier pousse en pleine terre.

Auparavant la vie Mentonnaise essentiellement agricole est du type médiéval : céréales, vignes et figuiers composent le paysage. Le véritable essor de l’agrumiculture apparaît réellement au XVII° s avec les textes règlementant la culture du citron. Les Princes de Monaco promulguent plusieurs textes fondamentaux. L’âge d’or du Citron dura environ un siècle entre 1740 et 1840. Le commerce est très florissant et essentiellement axé sur l’exportation.

Pratiquée le plus souvent dans des jardins de petite superficie, les rendements à l’hectare sont de l’ordre de 30.000 citrons avec des pointes à 35.000. Des orangers et bigaradiers (orange amère) sont également cultivés mais le citron est majoritaire sur les terres abritées des rigueurs de l’hiver. La culture des citrons représente l’activité économique dominante du pays et constitue l’une des principales préoccupations des Mentonnais.

Le Citron de Menton : une IGP reconnue en 2015.

 Le fruit d’or est devenu, pour le territoire des 5 communes de l’IGP, un élément incontournable de son patrimoine, et pour son développement économique et touristique.

 Trois variétés de citronnier sont cultivées sur Menton.

Il s’agit des « Bignettes » qui produisent des fruits à peau lisse et fine, très juteux.

Ensuite les « Sériesqués » à peau épaisse et lisse et qui contiennent moins de jus que les Bignettes.

Enfin les « Bullotins » peu courant à Menton. Les fruits sont plus gros, leur peau est très épaisse et raboteuse » et ont peu de jus.

Source : https://www.menton.fr/Citron-de-Menton.html

Le « Citron de Menton »

 Le « Citron de Menton » obtient l’Indication Géographique Protégée La Commission européenne a enregistré la dénomination « Citron de Menton » en Indication géographique protégée (IGP), par règlement paru au Journal Officiel de l’Union européenne le 2 octobre 2015. Cette reconnaissance vient reconnaître la qualité du produit liée à son origine géographique. Le « Citron de Menton » est cultivé au coeur du département des Alpes-Maritimes, sur les communes de Castellar, Gorbio, Roquebrune-Cap-Martin, Sainte-Agnès et Menton. Depuis l’apparition du citron dans l’agrumiculture locale dès 1341, à son essor aux XVII et XVIIIèmes siècles grâce à l’apparition des premiers textes législatifs réglementant le commerce du citron, le lien entre cet agrume et Menton n’a pas faibli au fil des siècles. Le produit est cultivé sur des restanques situées entre mer et montagne, sur des sols caractéristiques appelés « grès de Menton ». La douceur du climat sous influence maritime et l’apparition de brumes lors de la saison chaude, limitent l’accumulation en sucres et favorisent le goût acidulé mais sans amertume du fruit 

L’agrumiculture locale atteignit son apogée dans les années 1820 – 1840. L’âge d’or du Citron Mentonnais dura environ un siècle. C’est au final la Grande Guerre et le terrible gel de 1956 qui auront raison de cette fabuleuse aventure. La fin du XXe siècle sonne la désertification des terrains et cet abandon coûtera cher lors d’intempéries et de feux de forêt.

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les citrons de Serre de la Madone

La fête du citron a permis de maintenir la renommée de l’agrume au-delà des frontières de Menton. C’est en 1928, dans l’hôtel Riviera Palace que la Fête du Citron de Menton voit le jour. C’est d’abord une exposition dans les jardins du palace destinée aux clients fortunés. Devant le succès rencontré, l’initiative privée devient une grande fête populaire qui ne cessera de prospérer. Mais cette année, il a fallu importer 140 tonnes de fruits d’Espagne. Une partie sert à remplacer les fruits abîmés. La production mentonnaise est trop réduite et trop chère pour servir à décorer les chars.

2)  Le développement touristique de la Riviera française et le déclin de l’agriculture.

‘Du XVIIIe à la crise de 1929 s’épanouit la plus grande migration d’oisiveté de tous les temps, celle qui conduisait « dans le Midi », comme on disait alors, un nombre croissant de rentiers. Le Midi, ce n’était pas une région, mais un thème, un attrait dont bénéficiaient des stations, rivales entre elles. Chacune vantait la supériorité de son climat, et de sa végétation, l’élégance de sa clientèle. Fin XIXe, Menton était incontestablement une des plus cotées.A cet Eden, les Britanniques, souvent les plus anciens, et toujours les plus nombreux, donnaient le nom de Riviera. Fin XIXe, le poète bourguignon Stephen Liegard proposa Côte d’Azur. Alors Menton a acquis la renommée d’être « la plus parfaite des villes d’hiver ». Le comte Moszynski (qui passe à Marseille l’hiver 1784-85) fait ce constat : « Les Anglais ont l’habitude de fuir leur pays dès l’automne comme les hirondelles pour y revenir au printemps ».

250 ANS DE PRÉSENCE BRITANNIQUE SUR LA RIVIERA

Dès 1880, Menton profite du développement touristique de la Riviera française. Le médecin anglais Henry Bennett lui forge une belle réputation. Elle devient une station climatique appréciée des touristes anglais et de l’aristocratie russe. Palaces et villas de luxe fleurissent. C’est au géographe Elisée Reclus que Menton doit son appellation de  » Perle de la France « .

« Le terme de Riviera a été préféré à celui de Côte d’Azur (créé seulement en 1888 par Stephen Liégeard) dans la mesure où ce terme d’origine italienne, évoquant les régions littorales du Golfe de Gênes (la rivière de Gênes) convient davantage pour évoquer ces cités littorales de la région, devenues dès le XVIIIe siècle, des centres de villégiature. Pour ce qui concerne le propos de notre colloque, on n’hésitera pas à employer l’expression « French Riviera », couramment employée par les Anglais au XIXe siècle pour baptiser ce qui deviendra à la fin du siècle la Côte d’Azur ».
250 ANS DE PRÉSENCE BRITANNIQUE SUR LA RIVIERA

Le climat de Menton : un climat subtropical à hiver doux

L J choisit Menton pour son climat subtropical à hiver doux et été chaud mais également pour des raisons sentimentales et familiales, sa mère étant soignée à Mer et Monts, une pension voisine.

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Le climat de la riviera méditerranéenne outre ses hivers doux est marqué par des intersaisons arrosées. La proximité de la mer au sud et la présence au Nord de reliefs marqués génère des brises thermiques qui rafraîchissent et tempèrent les ardeurs de l’été ou de l’hiver. Ces reliefs (terminaison des Alpes maritimes), en arrêtant les dépressions qui viennent du golfe de Gênes permettent une pluviosité assez importante.Cet emplacement est classé comme Csa par Köppen et Geiger. La température moyenne annuelle à Menton est de 15.5 °C. La moyenne des précipitations annuelles atteint 803 mm. 

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le jardin aride

3) La spéculation foncière et la périurbanisation ont failli faire disparaître ce jardin remarquable :

Cette spéculation et cette artificialisation des sols se poursuit au XXI°s avec l’avancée du front urbain aux portes de cet écrin protégé. Désormais les perspectives du jardin donnent sur des villas accrochées à la colline ou des tours.

Comparaison des photos aériennes entre 1950 et aujourd’hui (Source IGN, Remonter le temps).

Ce jardin a failli tomber entre les mains d’un promoteur immobilier.

 Sur ce terrain dominant la mer une tour d’habitat collectif avait déjà commencé à dégrader ce site remarquable. Il fallait faire vite pour obtenir le classement des restanques (les terrasses en pierre) et la protection des deux maisons qui sont restées. Une fois le classement obtenu au titre des monuments historiques (1990), la ville de Menton ne se porta pas candidate car elle avait déjà à gérer plusieurs grandes propriétés et il était par ailleurs difficile de trouver un mécène.

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Les restanques restaurées dans le jardin aride.

Ce fut finalement le Conservatoire du Littoral et des Rivages Lacustres qui en devint le propriétaire (1999) comme pour le jardin du Rayol. Cette acquisition se fit grâce au concours de la ville de Menton, du conseil général des Alpes Maritimes et de la fondation Electricité de France. En 1999, le Conservatoire du Littoral devenu propriétaire en confie la gestion à la mairie de Menton (2005), qui la délègue à l’Association pour la sauvegarde et la mise en valeur du jardin Serre de la Madone.

Un état d’abandon

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Une des restanques du jardin aride.

En 1999, le jardin était dans un état d’abandon avancé qui risquait de compromettre  définitivement cet héritage botanique et horticole. Les premières années les jardiniers travaillèrent à la main avec précaution, comme des archéologues du paysage afin de retrouver et de sauvegarder tout qui avait été planté et qui dépérissait ou était déjà mort.

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L’orangeraie replantée

Ce jardin fut établi sur d’anciennes terrasses de cultures (restanques). Le paysagiste anglais n’a pas cherché à lutter contre la pente il conserva sur le haut la végétation d’origine (une forêt méditerranéenne de chênes verts principalement qui sur les photos d’archives était nettement plus clairsemée qu’aujourd’hui. Dans la partie basse du terrain, des escaliers et des terrasses furent aménagés assurant la liaison entre les différents niveaux, ouvrant ou refermant des perspectives.

Pour donner un peu d’originalité et de forme au jardin des sculptures antiques ou  des urnes furent disposées au bout des terrasses ou des bassins. Les anciennes fermes ou dépendances furent rénovées, embellies en particulier par un jardin d’inspiration mauresque. Dans la partie centrale un jardin d’eau et une orangerie furent aménagés.

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Le buste de César Auguste.

A suivre…

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