Abeille sur achillée (photo Michel Salmeron 2007)
Suite de la découverte du jardin de l’ENS/ LSH de Lyon en compagnie de Michel Salmeron.
Honneur aux travailleurs en cette fête du 1 Mai 2008, ahah vous dévoile le dessous des jardins avec cet entretien exclusif avec le maître des lieux : Michel Salmeron responsable de l’entretien de ce magnifique parc. La plupart des photos de cette note sont de lui, je l’en remercie vivement.
Comment devient on le jardiner de l’E-N-S ?
Quand a 19 ans, j’ai quitté ma vallée de l’Ariège pour entrer dans la fonction publique, j’ai vite compris que les bois et les prairies me manqueraient beaucoup. Parmi les différents métiers proposés par l’Education Nationale, celui de jardinier m’a paru être l’activité qui rendrait mon exil moins pénible.
Agrostemma (photo Michel Salmeron 2007)
Comme tous les autodidactes, j’ai beaucoup lu, puis je me suis présenté aux différents concours jusqu’au grade de chef jardinier. J’ai choisi mon premier poste à l’Ecole Normale Supérieure de Fontenay-aux Roses, pour ses grandes serres et son jardin botanique. Quand cette école à été délocalisée à Lyon, j’ai suivi le mouvement (déjà) et me suis vu confier la responsabilité des espaces verts.
Belle-dame sur buddleia (photo Michel Salmeron 2007)
J’en ai découvert la spécificité au fil des jours. J’ai estimé que le meilleur moyen de respecter ces particularités était de me documenter sur les différentes réalisations de Gilles Clément. Le concept m’a plu et j’ai entrepris d’expliquer cette nouvelle façon de regarder, d’abord à mes collaborateurs, puis aux usagers du parc un peu déconcertés.
Coronilla varia (photo Michel Salmeron 2007)
En quoi le fait de travailler sur un jardin créé par Gilles Clément apporte une spécificité ?
Le public n’était pas préparé à un jardinage non conventionnel ; d’ailleurs, la plupart des jardiniers non plus.
Jusqu’à récemment (pour ne pas dire jusqu’à Gilles Clément), un jardin pouvait soit servir à produire des fleurs où des légumes, soit par l’ordonnance de ses formes, signifier la domination de l’homme sur la nature, soit encore présenter une collection d’espèces rares dans des massifs savamment ordonnés, dans lesquels les intrus, animaux et végétaux étaient impitoyablement chassés.
L’herbe est fauchée et mise en botte pour nourrir les moutons. (photo Michel Salmeron 2007)
La vie en tant que telle, multiple, diverse, apparemment inutile et invendable, n’a jamais été la finalité d’un jardin digne de ce nom, sauf peut-être pour les philosophes et les poètes. Pourtant, cette diversité est la meilleure alliée du jardinier lorsque celui-ci ne considère pas la nature comme une ennemie à dominer.
Gilles Clément présentant la Vallée lors d’une conférence à St Etienne
La difficulté de l’entreprise ne vient pas du jardin, mais du public qui n’adhère pas si facilement à cause de siècles de jardinage conventionnel, pendant lesquels, convenons-en, il fallait disputer la récolte à des forces mal connues. Essayer de convaincre est, je crois, l’activité principale de Gilles Clément qui parcourt le monde avec la patience et la foi d’un prêcheur laïc (il n’empêche, on pourra bientôt dater les jardins : avant ou après Gilles Clément , ah ah…).
Image Google Earth du jardin. 45°43’58.81″N 4°49’58.21″E
La prise de vue date de la fin mars 2007, les Spirea thunbergii finissent de fleurir, mais les bananiers ne sont pas encore découverts…On voit les traces de la première tonte du boulingrin, et les travaux de creusement de la mare sont interrompus (en attendant que l’autorité décide s’il y a plus à craindre du chikungunya ou de la grippe aviaire)…
Vu l’ombre portée, il était 10h30 (heure d’hiver).
Quels contacts avez vous avec Gilles Clément ? Comment s’est passée la passation du projet paysager à l’objet jardin ?
Je n’ai été associé au projet que tardivement car on m’avait confié une autre mission pendant le déménagement de l’école. Il eut fallu que quelqu’un suive de près les travaux, cela aurait évité bon nombre d’oublis, d’erreurs et de malfaçons qui sont monnaie courante à ce stade de la réalisation, dans des projets de cette envergure. C’est au cours des levées de réserve, juste avant de prendre mes nouvelles fonctions, que j’ai fait la connaissance de Guillaume Geoffroy-Dechaumes. Ce paysagiste associé de Gilles Clément sur ce projet (entre autres) avait la lourde tâche de conduire l’entreprise en charge des travaux d’implantation à approcher au plus près du projet initial. Je voudrais ici lui rendre hommage, car même si la vie ne nous a autorisé que quelques conversations, il m’a montré la voie à suivre avec beaucoup de gentillesse.
La mare (photo Michel Salmeron 2007)
Quand à Gilles Clément , je l’ai rencontré pour la première fois lors de sa venue dans l’école, à l’occasion d’une discussion avec les élèves sur le thème « Nature et Culture ». Je craignais qu’il soit déçu par mon interprétation de son concept … Mais il m’a encouragé à poursuivre parce qu’il est indulgent et peut-être a-t-il vu le potentiel du parc avant tout le monde.
Le jardin en Mai 2007 depuis la bibliothèque.
(photo Michel Salmeron 2007)
Quelles ont été les difficultés rencontrées ?
J’ai dû batailler ferme pour obtenir les documents nécessaires, plans, listes de plantes, factures, contrats… En outre, un grand nombre d’arbres et d’arbustes, par manque d’arrosage, n’ont pas survécu, leur motte prisonnière du grillage qui avait servi à leur transport.
Les fiches des différentes essences (Source ENS / LSH )
De nombreuses plantes ne sont jamais descendues des camions, mais, année après année, nous complétons la liste. Nous avons créé un inventaire de toutes les espèces présentes avec leur photographie, et la mise à jour annuelle permet de voir leur évolution et leurs mouvements. (J’envisage de faire de même avec la faune ce qui permettrait de dater l’apparition des différentes espèces.)
Les étudiants à l’heure de la pause près du restaurant
(photo Michel Salmeron 2007)
Qu’avez vous personnellement appris et compris au contact de G Clément et de son jardin de l’E-N-S / LSH ?
Parmi ses nombreuses qualités dont je ne parlerais pas pour ne pas heurter sa modestie, il en est une que je lui envie car je ne la possèderais jamais, c’est sa patiente infinie pour faire passer son message. En effet, la tâche est rude : convaincre l’ « animal borné » qu’il court à sa perte s’il ne change pas radicalement son comportement.
Pièride butinant la lavande. (photo Michel Salmeron 2007)
Pour ma part, j’en suis au stade « Paccalet »*, mais j’admire les combats désespérés, parce que ce sont les plus beaux. J’ai bien tort de me plaindre car il m’a laissé la meilleure part : je profite des résultats positifs de cette gestion durable : tous les jours, en constatant l’accroissement de la diversité, je réalise combien la cause est juste. Pour moi, les mésanges, les libellules et les coccinelles, pour lui, les trains, les avions et les conférences.
(photo Michel Salmeron 2007)
Quel accueil ce jardin a t-il eu auprès des étudiants et de l’institution ? a t- il été compris, approprié ?
Je déplore que seulement un petit nombre d’élèves porte intérêt à cette nature. Cet espace est considéré de façon minimaliste comme un campus où seules les zones engazonnées et ensoleillées sont dignes d’intérêt, que ce soit pour la sieste ou pour les jeux de ballons. Toutefois, à la demande des plus motivés, nous avons mis en place des jardins étudiants pour leur permettre ce contact avec la terre, si précieux pour mieux appréhender les problèmes qu’ils auront à traiter dans leurs classes.
Souhaitons que cette expérience favorise d’autres initiatives du même ordre.
Quand aux représentants de l’institution, ils ont le même regard déconcerté que la plupart des gens, mais ils finissent par se laisser convaincre.
* Paccalet : Yves Paccalet, auteur du pamphlet : « L’humanité disparaîtra, bon débarras »
à suivre, bientôt…